Pourquoi la Ola excite les physiciens ?

Quand les gens autour de moi se lèvent subitement en criant “Ola!”, je ne peux pas m’empêcher de faire la même chose… Est-ce normal ? 


Vous connaissez certainement la Ola. Il s’agit d’un mouvement de la foule que l’on observe fréquemment dans les stades, lors de rencontres sportives. Un groupe de spectateurs se met debout en levant les bras et en criant “Olaaaa !” puis se rassoit tandis que le même geste est reproduit par les voisins, et ainsi de suite. Le comportement se propage ainsi de proche en proche à travers les tribunes, formant une sorte de vague. Comme ceci :


Savez-vous qui a inventé ce mouvement collectif ? Eh bien, c’est justement la question qu’il faudrait éviter de poser, au risque d’entrer dans d’interminables débats sur la paternité de la Ola…
Le monde a découvert ce drôle de comportement dans les tribunes des stades de football lors de la coupe du monde organisée au Mexique en 1986 (vous savez, celle où Diego Maradona a dégoûté l’Angleterre – deux fois). Flairant une bonne occasion de se mettre en avant, Coca-Cola, le sponsor principal de la compétition, a immédiatement lancé une publicité montrant pour la première fois des images de ce que la marque de soda a baptisé “la vague mexicaine”…

Désolé pour la piètre qualité de la vidéo – digne des pires VHS des années 80…
 

C’est pourquoi la Ola est appelée ainsi par les français (Ola signifie “vague” en espagnol) tandis que les anglais la nomme “Mexican wave” – la vague mexicaine. Sauf que toute cette agitation a eu le don de contrarier les américains. Et l’université de Michigan est la première à se faire entendre :

– C’est nous qui l’avons inventée ! Et bien avant les mexicains ! C’était en 1983 lors d’un match de baseball au Tiger Stadium de Detroit !

Ce à quoi a immédiatement répondu l’université de Washington :

– Pas du tout ! C’est nous qui  l’avons fait en premier, le 31 Octobre 1981, lors d’un match de football américain au Husky Stadium de Seattle !

Un article de presse du Lewiston Tribune témoigne de ce conflit…
Et c’est au milieu de cette bagarre générale qu’arrive un vieil homme, répondant au doux nom de “Krazy George Henderson. Sa profession : chauffeur de foule professionnel. À chaque match, debout devant les spectateurs et dos au spectacle, Krazy George harangue la foule pour encourager son équipe. C’est son métier, depuis 50 ans…

Krazy George Henderson

Et Krazy George revendique à son tour la paternité de la Ola. Le vieux monsieur n’est à première vue pas trop crédible… Sauf que l’homme a dans son sac une preuve irréfutable : une vieille cassette VHS le montrant déclencher une Ola dans un stade de baseball le 15 octobre 1981 – soit exactement 16 jours avant la date d’invention présumée de l’université de Washington. Et voici la vidéo (Krazy George est l’homme au t-shirt jaune) :

 

Super histoire ! Mais pourquoi on parle de ça au fait ? 

Car en 2002, seize ans après la coupe du monde mexicaine, un trio de physiciens prend soudainement conscience de l’intérêt scientifique de la Ola

Au début des années 2000, les chercheurs en fouloscopie se passionnent en effet pour les “systèmes sociaux auto-organisés”. Ce terme un peu barbare désigne simplement un groupe composé d’un grand nombre d’individus – comme une foule de piétons, un embouteillage automobile, un banc de poisson ou une colonie de fourmis – dans lequel une forme d’organisation collective peut émerger, sans chef ni leader, simplement par les interactions entre les individus.

Illés Farkas, Dirk Helbing, et Tamás Vicsek – les auteurs de l’étude sur la Ola. 

Et c’est exactement ce qu’est une Ola ! Posez-vous la question : Qui contrôle la Ola ? Qui décide quand elle doit débuter, dans quelle direction elle doit tourner, ou à quelle vitesse elle doit progresser ? Réponse : personne… et tout le monde à la fois ! C’est bel et bien un “système social auto-organisé” …

C’est ainsi que les trois physiciens, Illés Farkas,Tamás Vicsek, et Dirk Helbing (ce dernier a d’ailleurs été mon directeur de thèse de 2007 à 2010), se sont lancés dans l’analyse d’une quinzaine de vidéos de Ola retrouvées sur de vieilles cassettes VHS (eh oui, YouTube n’existait pas encore en 2002 !).

Avec leur perspective de physiciens, ils ont commencé par décrire la Ola  comme une onde.

 

Une onde ? Comme dans un micro-onde ?

Une onde, au sens physique du terme, mais formée spontanément par un groupe d’individus. Et cela fonctionne parfaitement ! Les physiciens ont d’abord montré que les modèles communément utilisés en physique pour décrire les vagues d’excitabilité dans les tissus cardiaques fonctionnent à merveille pour reproduire le comportement des supporters dans les stades…
Nous apprenons ainsi que “l’onde-Ola” se propage à 43 kilomètres/heure en moyenne (équivalent à 20 sièges par seconde), et que sa largeur est de 10 mètres environ. Pour la déclencher, il faut une masse critique d’environ une douzaine d’individus. Une seule personne au milieu de la foule n’arrivera à rien…

 

Par ailleurs, la foule doit être dans un “état d’excitabilité” très précis : Ni trop calme (pas de Ola dans un match soporifique) ni trop énervée (pas non plus de Ola juste après un but). Notez enfin que l’onde-Ola se propage 75% du temps dans le sens des aiguilles d’une montre et 25% du temps dans le sens inverse – et nous sommes encore incapables d’expliquer pourquoi…

Pour finir, je vous laisse avec les images de la plus grande Ola du monde. Enregistrée au Guinness Book des records, elle a impliqué la participation de 157.000 personnes !

 

Et cette étonnante Ola de hipster : “Hey les gars, au lieu de se lever pour la Ola comme tout le monde, nous, on va s’accroupir !

 

Au prochain épisode de ‘Foule et Foot‘, nous parlerons des supporters du mythique club de Liverpool, impliqués dans deux des plus importants mouvements de foule qui ont eu lieu dans un stade:

 

Et n’oubliez pas l’épisode 1 pour revivre la dernière coupe du monde… vue depuis les laboratoires de fouloscopie:


Pour aller plus loin :

  • Farkas, Illés, Dirk Helbing, and Tamás Vicsek. 2002. “Social Behaviour: Mexican Waves in an Excitable Medium.” Nature 419(6903):131–32.
  • Pour le détail de la modélisation mathématique, je vous invite à consulter cette page: http://angel.elte.hu/wave/
  • Jensen, P. (2018). Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations. Le Seuil.

Crédit image d’entête @Maria Colom

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