Dites-moi, docteur, Marion Montaigne dit que nous marchons comme des oies. C’est vrai ?
Il y a quelques temps, l’illustratrice Marion Montaigne, auteure de la super bande dessinée de vulgarisation scientifique « Tu mourras moins bête« , a posté sur son blog un billet intitulé « Jeudi, c’est fouloscopie« . Elle y décrit avec son humour décalé une vision originale de mes recherches et de celles de mes collègues.
Je vous en livre ici un extrait :
Dans ces dessins, Marion Montaigne fait référence à un de mes tout premiers articles scientifiques, publié en 2010 alors que je n’étais encore qu’un jeune thésard inexpérimenté. J’en déduis donc que cette personne, c’est moi:
Moi je trouve que ce n’est pas trop ressemblant…
Hmmmm, c’est vrai qu’on ne me reconnaît pas immédiatement… Pour ceux qui ne le savent pas encore, voici ma véritable tête :
Seul comme un piéton
Dans ce projet scientifique, nous nous étions mis en tête d’étudier le déplacement des groupes de piétons, comme un couple, une bande d’amis ou un rassemblement de touristes. Étonnamment, personne ne l’avait fait avant nous. Depuis le début de la fouloscopie, les chercheurs ont en effet toujours considéré qu’une foule était un ensemble de piétons solitaires, un rassemblement de gens qui marchent tout seuls au milieu des autres, comme des âmes en peine…
Heureusement, la réalité est plus joyeuse. Les piétons solitaires sont en fait en minorité. Les individus sont le plus souvent accompagnés pendant leur déplacement, formant des petits groupes de deux à quatre personnes. Dans le jargon, on appelle cela des « amas de piétons« . Si par exemple vous emmenez votre bien-aimée pour un dîner amoureux au restaurant, les chercheurs diront que vous formez un amas. Ce n’est pas très romantique, mais c’est comme ça…
Nous nous sommes donc lancé dans une étude de ces amas. Pour collecter des données, je me suis rendu avec mon ami et collègue Simon Garnier sur le toit du Capitole de Toulouse, ici :
Comme point de vue, on peut difficilement faire mieux !
Après quelques heures d’enregistrements vidéos (et quelques semaines de dépouillement), nous avons pu obtenir des données qui ressemblaient à cela :
Et c’est grâce à ces observations que nous avons fait la découverte dont parle Marion Montaigne: les piétons en groupe adoptent effectivement une configuration de marche assez particulière. À trois, ils prennent la forme d’un V , avec la pointe orientée vers l’arrière (ou d’un U lorsqu’ils sont plus nombreux). Comme ceci :
Grâce aux analyses des vidéos, nous avons pu extraire plus précisément la forme de ces configurations de marche (elles sont mieux détaillées dans l’article):
Oui bon… Pas de quoi casser trois pattes à un canard… Et d’ailleurs, c’est quoi le rapport avec les oies ?
J’y viens… Ce qui est étonnant, c’est que ces configurations de marche sont les pires que l’on puissent imaginer d’un point de vue de l’efficacité du déplacement… Pour aller vite et progresser confortablement, il est préférable d’adopter une configuration en V, mais avec la pointe vers l’avant. C’est ainsi que volent par exemple les oies sauvages pendant leurs migrations…
Sauf que les piétons, eux, se fichent bien de ces considérations aérodynamiques… Ils préfèrent marcher en V, pointe vers l’arrière. Et tant pis si cela entrave leur progression et constitue une gêne pour les autres. Résultat : les groupes induisent une perturbation considérable du trafic piétonnier de l’ordre de 17%.
Mais alors, pourquoi marchons-nous de cette manière ? Il doit bien y avoir une raison, non ? Il y en a une en effet : le V pointe vers l’arrière est particulièrement efficace pour entretenir des interactions sociales au sein du groupe. Cette configuration est en effet la seule qui permet aux piétons de se voir et de communiquer les uns avec les autres tout en gardant un oeil sur la route.
En d’autres termes: les piétons défient quotidiennement les loies de l’aérodynamique pour bavarder. Après tout, un bon potin vaut bien 17% de temps de trajet en plus, non ?
Pour aller plus loin :
- Moussaïd, M., Perozo, N., Garnier, S., Helbing, D., & Theraulaz, G. (2010). The walking behaviour of pedestrian social groups and its impact on crowd dynamics. PloS one, 5(4), e10047.
- Il y a maintenant une vidéo qui accompagne les dessins de Marion Montaigne, soutenue par la voix de François Morel.
Dans le second épisode de cette série, nous examinerons la suite de la bande dessinée.
Au programme : Pourquoi mettre un poteau devant une porte de sortie ? La réponse est ici : Marion Montaigne parle de piétons – Episode 2
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