Bousculades: pourquoi le pèlerinage de La Mecque est-il si dangereux ?

Y-a-t-il vraiment beaucoup de monde à la Mecque ? Encore plus qu’au marché de Montalivet en plein mois de juillet ?

 

Les “chasseurs de foules” n’ont jamais rien vu de semblable. C’est le lieu de tous les extrêmes, à côté duquel les tribunes du Stade de France ressemblent à un petit rassemblement de copains. Les égyptologues ont les pyramides de Gizeh, les ornithologues ont la forêt Amazonienne, et les foulologues, eux, ils ont La Mecque.

Dans cette ville d’Arabie Saoudite se déroule tous les ans un rituel religieux appelé le Hadj ou Hajj. Tous les musulmans du monde doivent l’effectuer dans leur vie. Et chaque année, ce sont des millions de personnes qui convergent vers ce lieu saint de l’islam. Assurément les foules les plus importantes qu’il soit possible d’observer…

 

 

Sur cette vidéo (accélérée vingt fois), vous pouvez voir l’impressionnant mouvement des pèlerins autour de la Kaaba (‘le cube’, en arabe). Selon le rituel, ils doivent effectuer sept fois le tour de ce monument au premier et dernier jour du pèlerinage.

 

Et ici, les flux massifs de pèlerins se rendant sur le site religieux :

 

25 ans de bousculades à la Mecque

La foule de La Mecque n’a pas toujours été aussi importante. Ce n’est que depuis les années 1990 que le nombre de pèlerins à commencer à atteindre des niveaux vertigineux. Depuis, il n’a presque jamais cessé d’augmenter comme le montre cette courbe de fréquentation:

 

 

La barre symbolique des 3 millions de personnes a été dépassée lors du pèlerinage de 2012. Entre 2013 et 2016, le nombre de visiteurs a été limité à 2 millions en raison d’importants travaux de restructurations sur le site. Le chiffre est reparti à la hausse depuis 2017.

Dans les années 1950, ils n’étaient que 150.000 à se rendre à La Mecque, et seulement 50.000 dans les années 1930 (donc 0.05 millions de personnes, sur le graphique ci-dessus cela donnerait un point situé tout en bas de cette page. Cela vous donne une idée de l’augmentation).

 

 

Le pont de la mort

Autant de gens au même endroit, c’est impressionnant… Ne risque-t-on pas de se faire un peu écraser les orteils, lol ?

Bien entendu, qui dit foule gigantesque, dit aussi risque important. À la Mecque, les seuils de sécurité du nombre de personnes par mètre carré sont très régulièrement dépassés. Il a même fallu en établir de nouveaux pour l’occasion. À la RATP, on s’inquiète lorsque la densité approche de 3 ou 4 personnes per mètre carré. Ici, on parle plutôt de 6, 7, voir 10 personnes par mètre carré. Lorsque ce niveau est atteins, vous n’avez aucune chance de survivre…

Sur le trajet des pèlerins se trouve un passage particulièrement dangereux, comme une épreuve divine que les individus doivent surmonter : l’entrée du pont Djamarat. Cette plateforme conduit aux « stèles de Satan », un lieu où se déroule au troisième jour du pèlerinage une cérémonie consistant à jeter des pierres sur trois piliers symbolisant le Mal (cette très bonne vidéo explicative vous en dira plus sur ce rituel). L’entrée du pont étant très étroite, elle forme un goulot d’étranglement qui fait exploser les mesures de densité lorsque la foule s’y engouffre.

C’est là que mes collègues ont mesuré une densité de 10 personnes par mètre carré, lors de leur étude de 2006. Ce jour-là, 362 personnes ont perdu la vie, asphyxiées.

Les mêmes causes ayant toujours les mêmes effets, l’entrée du pont Djamarat a été un véritable serial killer pendant près de deux décennies:

• 1990: 1426 victimes *
• 1994: 270 victimes
• 1998: 188 victimes
• 2001: 35 victimes
• 2003: 14 victimes
• 2004: 251 victimes
• 2006: 362 victimes

* L’accident de 1990 ne s’est pas déroulé exactement sur le pont Djamarat, mais dans un tunnel avoisinant.

Le super pont

Bah, si le pont est trop petit, il suffit d’en construire un plus grand, non ?

Après l’accident de 2006, les autorités ont décidé d’en finir avec ces drames à répétition et d’importants travaux de reconstruction furent entrepris. Le pont Djamarat fut détruit pour laisser place … au super pont Djamarat ! Ce nouvel ouvrage est tellement grand qu’il ressemble plus à un aéroport qu’à un pont.

Divisé en quatre étages, il permet aux pèlerins d’accéder aux stèles de Satan à différents niveaux et ainsi de désengorger les alentours des piliers :

Pour y entrer ou en sortir, les flux sont régulés à la minute près. Fini l’improvisation ! Seule une planification chirurgicale, à laquelle de nombreux chercheurs foulologues ont contribuée, pouvait permettre d’éviter les accidents.

Le résultat de ce travail logistique fut plutôt positif. Pendant huit ans, aucune bousculade n’a eu lieu sur le site religieux. Mais la foule est une créature capricieuse qui ne se laisse pas dompter facilement. Au moindre petit écart, la situation peut virer au cauchemar.

Et c’est ce qui s’est passé en septembre 2015 lorsqu’un nouveau mouvement de foule, absolument gigantesque, causa la mort de 2431 personnes !  Et devinez où se déroula cet accident ? À l’entrée du pont Djamarat.

N’importe quel autre évènement aussi meurtrier serait immédiatement arrêté. Mais à La Mecque, the show must go on. Et le nombre de pèlerins continue d’augmenter tous les ans. N’oublions pas que le pèlerinage constitue la deuxième source de revenu de l’Arabie Saoudite… juste après le pétrole.

 

Ne ratez pas le prochain épisode de ‘Tremblements de foule’, dans lequel je vous expliquerai comment survivre si vous êtes pris dans un mouvement de panique. En attendant, je vous invite à lire l’épisode 1: Terrorisme et mouvements de panique, où il était question de sardines et de Jamel Debbouze :

 

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Pour aller plus loin :

• Un excellent épisode du “Dessous des cartes” datant de 2008 sur le pèlerinage de La Mecque : https://www.youtube.com/watch?v=Lh00CIovrmg
• Moussaïd, M., Helbing, D., & Theraulaz, G. (2011). How simple rules determine pedestrian behavior and crowd disasters. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(17), 6884-6888.
• Helbing, D., Johansson, A., & Al-Abideen, H. Z. (2007). Dynamics of crowd disasters: An empirical study. Physical review E, 75(4), 046109.